Les designers se plaignent régulièrement de ne pas être reconnus à leur juste valeur. Dans leur collimateur : les prix qui ne cessent d’être tirés vers le bas, les appels d’offres où l’on demande de fournir des idées gratuites, les concours qui profitent uniquement aux marques ou bien encore les plates-formes de crowdsourcing, qui font travailler des armées de graphistes, dans une concurrence déloyale. La démocratisation des outils de productions graphiques n’a pas arrangé les choses puisqu’elle a laissé penser que pour être designer, il suffisait d’avoir un ordinateur à la maison. Ce combat quotidien, donne parfois l’impression que choisir le métier de designer, c’est choisir de se justifier toute sa carrière. Alors, comment donner de la valeur à notre expertise de designer ? Si l’on peut chercher des raisons du dénigrement du design dans l’ère du numérique ou le durcissement du marché, elles n’expliquent pas tout. Car finalement, est-ce si évident pour une personne lambda de se rendre compte du travail derrière un design ?

Un art invisible

Le design influence les comportements des gens sans qu’ils s’en rendent compte et rares sont ceux qui savent décrypter les codes graphiques qui les entourent. Un lecteur ne s’explique pas toujours pourquoi il trouve plus agréable de lire un magazine avec une certaine mise en page plutôt qu’avec une autre, un internaute ne sait pas forcément pourquoi il quitte un site Internet au bout de quelques secondes alors qu’il déambule plusieurs minutes sur les pages d’un site concurrent. Ce manque d’attention face au design est d’abord lié au fait qu’en tant qu’utilisateur, on ressent les choses plutôt qu’on ne les analyse, mais une autre raison est que le design est invisible. Le design ne se voit pas, car, contrairement à l’Art, il valorise autre chose que lui même. Le métier de designer n’est pas considéré à sa juste valeur parce qu’il se développe dans l’ombre d’un contenu qu’il met en lumière. De la même manière, au cinéma, un bon effet spécial est celui qui s’oublie au profit de l’histoire. Pensez-vous que le salarié qui s’assoit sur sa chaise de bureau, tous les jours, pense à la forme du dossier qui a été dessinée de telle manière que son dos ne lui fasse pas souffrir malgré 8 heures de travail ? Non, il lui importe juste d’être confortablement assis pour travailler. Il appréhende l’expérience de l’objet, pas sa conception. Dans le numérique c’est la même chose les interfaces les plus agréables sont celles que l’on ne remarque pas et que l’on assimile de manière instinctive. Depuis quand avez-vous lu une notice pour jouer à un jeu vidéo ? Néanmoins, même si le design est un art invisible, il peut s’avérer utile de montrer aux clients que c’est un vrai métier qui demande de l’expérience. Ne serait-ce que pour réussir à se vendre.

Montrer le processus de création

Nous avons tendance défendre le design en expliquant qu’il contient une grosse part de réflexion, que cette réflexion prend du temps, et que c’est un temps pour lequel il est normal d’être rémunéré. C’est vrai. Mais je pense que les gens auront toujours du mal à payer pour quelque chose d’immatériel. On veut voir ce que l’on achète. Voilà pourquoi beaucoup de designers montrent leur processus de création à leurs clients : par le biais de croquis, de grilles de mises en page, de zonings, d’essais abandonnés… tout ce que d’habitude on ne voit pas. Montrer un portfolio de projets terminés, c’est bien, mais comment savoir si le client verra votre valeur ajoutée dans les réalisations présentées ? Vous avez peut-être travaillé sur une UX novatrice pour une application mobile, mais le client ne verra que les icônes issus d’une banque d’images, qui illustrent le menu. Vous avez conçu l’interface responsive d’un site web, mais le client ne verra que la vidéo de présentation, en page d’accueil, réalisée par un prestataire extérieur. Montrer le résultat de votre travail n’est pas suffisant pour mettre en évidence votre expertise. C’est là toute la force des études de cas en design, cette manière de décomposer un projet en étapes successives, du brief à la réalisation finale. C’est un complément, voire une alternative, au traditionnel portfolio. Faire une étude de cas permet de comprendre que les idées ne viennent pas de nulle part et qu’être designer n’est pas à la portée du premier venu. L’étude de cas est un atout majeur pour donner de la valeur à son travail. Les web designers l’ont bien compris, certaines agences web allant jusqu’à bâtir leur réputation sur ce type de présentation. C’est une manière de gagner en estime, non pas pour flatter son égo, mais pour prouver aux clients que le design est une vraie expertise.

« J’adorerais pouvoir faire ça »

L’estime, ça se gagne parfois avec très peu de choses. Récemment, un client est passé par hasard à mon bureau. Il faut savoir que mes clients ne viennent jamais derrière mon écran quand je travaille, c’est un espace que je garde privé, pour des raisons d’organisation.Toujours est-il que j’étais, à ce moment-là, en train de travailler sur son projet. Je l’ai accueilli cordialement, il s’est assis derrière moi, et j’ai senti qu’il découvrait quelque chose qu’il ne voyait pas souvent : un designer travaillant devant son écran. Je ne faisais rien d’extraordinaire, juste mon travail quotidien, mais en me voyant créer les formes à coup de raccourcis claviers et de gestes obscurs sur ma tablette, mon travail est devenu beaucoup plus concret pour lui. Un silence respectueux s’est installé. Il y avait de sa part un mélange de fascination et de fierté (ce travail était pour lui). Il m’a alors dit : “J’adorerais pouvoir faire ça”. J’ai eu quasiment carte blanche sur le reste du projet, qui a été un franc succès.

Conclusion

Le design n’est pas toujours considéré à sa juste valeur, mais ceci est lié à la méconnaissance d’un métier qui reste abstrait pour beaucoup. Il améliore le quotidien des gens sans pour autant qu’ils en aient conscience. Il est donc difficile de vendre ce qui ne se voit pas. Montrer son processus de travail est un moyen de rendre le design plus concret. Les études de cas sont un moyen d’y arriver, inviter les clients, de temps en temps, à son bureau en est un autre. Cela permet de débloquer des méfiances naturelles, histoire de prouver que le design, c’est un vrai métier.


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3 réponses

  1. Très bon article et une bonne analyse du sujet. Je retiendrais notamment cette phrase “…les interfaces les plus agréables sont celles que l’on ne remarque pas et que l’on assimile de manière instinctive.”
    elle résonne comme un bon proverbe. Merci à Walking Web 😉

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