Je me définis comme un designer graphique qui dessine. La plupart du temps mes illustrations sont intégrées à un travail plus global de design graphique. Je peux dessiner les icônes d’une identité visuelle ou le pictogramme d’un logo, par exemple. Mais ces derniers temps on me demande de plus en plus de réaliser des illustrations seules. Comme c’est le cas avec cette illustration pour le magazine pour enfants, Crocoule. Je vais vous expliquer comment je l’ai réalisé, depuis les recherches jusqu’à la mise en couleur.

Réinterpréter des personnages existants

Crocoule est un magazine trimestriel qui a des mascottes attitrées, créées à l’origine par l’illustratrice Claudine Morel. Les mascottes de Crocoule ont pour trait une famille d’animaux hybrides composée d’un papa crocodile et d’une maman poule. Leurs enfants ont donc des caractéristiques physiques propres à chacune des deux espèces. La petite fille à un bec de poule avec une queue de crocodile, tandis que son frère à une tête de crocodile avec une queue de poule. Pour un numéro spécial illustrateurs, j’ai été invité par le magazine à illustrer un article sur le thème du jardin tinctorial. Un jardin tinctorial est un espace où l’on cultive des plantes pour leurs capacités à produire des colorants et des teintures (c’est important de le savoir quand on regarde l’illustration).

Les personnages créés par Claudine Morel.
Les personnages créés par Claudine Morel.

Figer sur papier la composition

J’ai d’abord fait un rapide rough sur papier pour poser les éléments. J’ai dessiné le fils de la famille en train d’utiliser des fruits tinctoriaux de manière non conventionnelle et quelque peu brutale… J’ai montré l’idée au client qui m’a validé l’intention.

rough

Se documenter sur l’anatomie animale

Je ne dessine pas des crocodiles tous les jours et comme le personnage a principalement pris les traits de cet animal, je devais comprendre ses caractéristiques physiques pour me l’approprier. Le but étant bien sûr de ne pas reproduire le design du dessin original. Il fallait que je fasse un croco-poule à ma façon. Après avoir cherché, en vain, un crocodile domestique chez mes amis, je me suis résigné à faire quelques croquis d’après photo. Les crocodiles sont comme de gros lézards préhistoriques, ils ont de petites pattes dodues et atrophiées, un long museau avec une petite proéminence sur le dessus, un cou musclé peu mobile, un gros ventre qui leur donne un aspect pataud et une queue recouverte d’écailles vraiment cool (malheureusement mon personnage avait une queue de poule, tant pis).

recherches

Faire et refaire…

À partir de mes recherches, j’ai gardé les traits les plus distinctifs de l’animal pour en faire une synthèse dans une forme humanisée. Comme souvent dans mes illustrations, je voulais travailler le personnage à la manière d’un pictogramme, simple et dénuée de détails superflus. Je voulais surtout éviter un aspect trop cartoon. J’ai donc limité au maximum les volumes, travaillé avec des formes géométriques pour épurer le design. J’ai réalisé une vingtaine de versions avant d’être satisfait.

croquiscroquis02

J’ai eu pas mal d’hésitations à cette étape, notamment sur les pattes du personnage. Coller des pattes de poules toutes frêles sur un corps ventripotent de crocodile, je ne trouvais pas ça très élégant. J’ai finalement corrigé ce problème lors du détourage en épaississant les pattes.

pattes

Parfaire les courbes

Une fois le croquis choisi, je l’ai scanné et détouré à la plume sur Illustrator avec la technique des sommets. Il s’agit d’une technique très utilisée par les typographes et dessinateurs de caractères, qui consiste à placer les points de ses vecteurs de manière à ce que les tangentes soient parallèles entre elles, horizontalement ou verticalement. C’est très pratique quand on cherche à faire des courbes fluides et maitrisées. Vous trouverez plus d’infos sur cette technique en lisant cet article.

detourage

Vous remarquerez que certaines formes ont changé à l’étape du détourage. Les bras ont été simplifiés encore plus et les pattes épaissies, pour compenser la grosseur du corps.

modifs

Plusieurs éléments ont été réalisés directement dans Illustrator comme le panier de mûres. Il est composé d’un trapèze bombé, d’un arc de cercle et d’un rectangle arrondi. Pour les mûres, il s’agit de plusieurs petits cercles que j’ai pris soin d’enregistrer en symbole pour faciliter les éventuelles modifications (sur l’image les symboles des mûres sont décomposés). La couleur, le motif sur le panier, le reflet sur les mûres et l’épaisseur du trait aident à donner une consistance a des formes géométriques, qui à la base sont peu expressives.

panier

Trouver la bonne harmonie

Je suis parti d’un vert-pomme pour le crocodile auquel j’ai ajouté l’orange pour créer le contraste principal. Je voulais avoir des teintes vives, mais pas agressives. Les éléments du décor (tableau, panier) apportent les couleurs secondaires.

couleurs

Le fond réduit à des formes minimalistes est composé d’une répétition de triangles colorés évoquant une forêt de sapins. Les nuages sont des cercles fusionnés avec un triangle. Contrairement aux éléments du premier plan, le décor n’a pas de contour pour éviter qu’il soit trop présent.

fond

Dessiner comme un graphiste

Même si je souhaitais créer des formes simples et sans volume, j’ai quand même ajouté quelques ombres au personnage pour éviter qu’il soit trop froid. Les tâches sur le tableau, les brins d’herbe ou les mûres ont été réduites à leur plus simple expression. Ce qui me permet de construire l’image en répétant ces motifs à différents endroits. C’est une manière de concevoir une illustration comme avec des legos, en imbriquant des blocs simples, les uns aux autres. C’est une façon de faire, qui, je pense, est très influencée par ma vision de graphiste. Quand je crée des logos ou des icônes, je cherche toujours la forme la plus épurée, dénuée de parasites visuels pour gagner en force esthétique. J’aime appliquer ce principe à l’illustration traditionnelle. Au fur et à mesure que je travaille sur des projets similaires, c’est tout un langage visuel cohérent qui se constitue comme on peut s’en rendre compte sur ma page Dribbble. Et j’aime à penser que chaque illustration de ce type, que je réalise, est un membre d’une même famille dont les contours restent à dessiner.

illustration-crocoule

magazine

7 réponses

  1. Ou comment bien expliquer à ses clients qu’être créatif prend du temps ! Non seulement c’est du très joli travail 🙂 mais en plus tes explications sont très claires.

    Bien que ne touchant pas à l’illustration, ça me donne envie d’en faire autant à la prochaine commande d’identité visuelle que l’on me passe afin de faire un peu de pédagogie démonstrative à mon tour.

    Très bon article !

    1. Merci.
      Je ne peux que t’encourager à partager tes process de création.
      Pour reprendre le titre d’un livre que j’ai lu récemment : « Show your work »

      1. These are wonderful shots, Tricia! Two days ago, in Salida, Colorado, five small deer walked right across the road in front of my car…I learned that isn't unusual. In the winter time, deer can be found all over the city, walking through the yards. Evidently, they know it's safe and they won't get shot.I shot 'em though – with my camera.Our daughter is home from the hospital. She has a ways to go, but we're going to stay with her another week or so.Hope all is well with you!

  2. C’est relativement compliqué de pouvoir faire émerger du ressenti et de la sensibilité dans le traitement graphique choisi qui s’apparente comme tu le dis au design “pictographique”. Je trouve que le rendu final est très réussi dans la mesure où le perso de Crocoule est rigolo et nous met un sourire au coin des lèvres. Bravo…

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